Fiche-Livre circulant sur Internet à  propos du livre de François Soult

« EDF, chronique d'un désastre inéluctable »


Avec la vague de libéralisation qui a touché le secteur électrique à partir de la fin des années 1980, les anciens monopoles se sont vus tout d'un coup l'objet de multiples critiques. Selon le credo libéral, une seule solution: remplacer les anciens monopoles, le plus souvent des entreprises publiques, par la concurrence et le secteur privé. Les premiers pays à se lancer dans l'aventure (Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Californie) furent présentés comme des modèles avant même que les réformes soient complètement mises en oeuvre.

Le livre récent « EDF, chronique d'un désastre inéluctable » s'attache à tirer un premier bilan de l'expérience : la dérégulation était fondée sur quelques idées simples et largement fausses qui méritaient d'être confrontées à l'épreuve des faits. L'un des intérêts de ce livre est d'avoir été écrit par un des meilleurs connaisseurs du monde électrique, un haut fonctionnaire qui dans un passé récent a été l'un de ceux qui ont conduit la dérégulation électrique en France.

Le premier des mythes fondateurs de la dérégulation est celui selon lequel, en séparant les activités de fourniture et de réseau, on peut désormais faire de l'électricité une « marchandise comme une autre ». Fort de ce présupposé, la Commission de Bruxelles va s'employer avec acharnement à soumettre la marchandise électricité au droit de la concurrence avec l'objectif affiché de créer un marché unique européen de l'électricité. Peu importe que cette vision soit une aberration sur le plan technique, puisqu'elle justifie les pouvoirs que s'arrogent au passage la Commission. Un autre chantre de la vision selon laquelle l'électricité était une banale matière première s'appelait Enron. L'entreprise inventera en quelque années un nouveau secteur d'activité supposé révolutionner le secteur de l'énergie : le trading d'énergie. La faillite retentissante d'Enron et la révélation du caractère frauduleux et largement fictif de son activité de trading constitueront un salutaire retour à la réalité.

Le second mythe est celui du marché autorégulateur selon lequel la confrontation à court terme sur le marché de l'offre et de la demande devrait naturellement conduire à la satisfaction des besoins en énergie. Les pénuries d'électricité en Californie, ou au Brésil nous rappellent que l'approvisionnement en électricité s'inscrit dans le cadre d'investissements de très long terme.

Le troisième mythe est celui de la concurrence qui bénéficie toujours au consommateur. Là encore un principe a priori de bon sens ne se vérifie pas dans le cas de l'électricité. Certes des baisses de prix de l'électricité ont bien eu lieu au cours des dix dernières années, mais elles concernent aussi bien les Etats qui ont libéralisé que les autres. Elles risquent d'ailleurs d'être de courte durée. Si les gros consommateurs industriels ont les moyens de faire jouer la concurrence, ce n'est pas le cas pour les particuliers. La concurrence pour les consommateurs individuels coûte cher à mettre en œuvre, leur complique inutilement la vie, pénalise les plus pauvres et a toute les chances de faire en moyenne augmenter les prix.

Le dernier mythe est celui du retrait total de l'Etat remplacé totalement par des capitaux privés. C'est oublier un peu vite que les investisseurs privés exigent une rémunération des capitaux supérieure à celle dont bénéficie aujourd'hui les entreprises publiques comme EDF. Les incertitudes sur les futures règles du jeu entraînées par la libéralisation et ses ratés crée un environnement défavorable pour attirer des investisseurs privés, surtout dans un secteur pour lequel le retour sur investissement ne se conçoit qu'à très long terme. Au moment où les investisseurs votent avec leur pieds en massacrant en bourse les actions des sociétés du secteur électrique, le débat français sur la privatisation d'EDF censée donner à l'entreprise les moyens de son développement est largement déconnecté de la réalité. D'autant plus que pour le premier producteur nucléaire au monde, la perspective d'un financement et d'une gestion uniquement privée paraît particulièrement problématique.